Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article BONORUM POSSESSIO

BONORUM POSSESSIO

BONORUM POSSESSIO. Succession prétorienne établie par l'édit du préteur, soit en exécution du droit civil, soit pour en combler les lacunes ou pour en modifier les principes rigoureux 1. Les jurisconsultes reconnaissaient différentes classes de bonorum possessiones, qu'il ne faut pas confondre avec l'envoi en possession que les préteurs ordonnaient en différents cas [rossessro BoxoauMj. En effet, la bonorum possessio, au point de vue des motifs qui la faisaient accorder, se distinguait d'abord en edictalis et decretalis. La première était offerte â priori, par l'édit aux différentes classes de personnes qui se trouvaient dans les conditions requises ; la seconde n'était accordée qu'en connaissance de cause, et par un décret spécial du préteur, suivant les circonstances de l'affaire qu'il se réservait d'apprécier. Peut-être cette dernière était-elle la plus anciennement instituée ; ce n'est qu'assez tard sans doute, que le préteur osa prendre sur Iui d'organiser à l'avance tout un système de succession à côté de celui de la loi des Douze Tables. Nous exposerons rapidement les principes du droit prétorien qui régissaient les deux sortes de possession. 1. Possession de biens édictale. Cette possession de biens tendait à confirmer, ou à corriger le droit civil. Il est très-probable que les préteurs ont commencé par accorder la bonorum possessio aux héritiers testamentaires ou ab intestat d'après le droit civil'. En vertu de leur juridiction et pour éviter les lenteurs de l'action en pétition d'hérédité, le magistrat annonçait qu'il donnerait la faculté aux héritiers de réclamer la possession des biens héréditaires, c'est-à-dire le titre de successeur prétorien', et leur accordait, sur leur demande, une action dispensée des preuves rigoureuses de la qualité d'héritier (possessoria hereditatis petitio) et même l'interdit quorum bonorum, pour prendre la possession matérielle des objets de la succession 5. Ils obtenaient de plus des actions héréditaires utiles et fictives 6, et les tiers recevaient aussi contre eux les actions qu'ils auraient pu exercer contre un héritier, secours fort utile dans une législation où le principe de la saisine héréditaire n'était point admis. Plus tard, le préteur, reconnaissant que la rigueur du droit civil [muftis] 7 amenait de trop nombreuses successions vacantes, élargit le droit de succession dans l'intérêt soit des institués, soit des parents, soit même des créanciers du défunt. C'était suppléer aux lacunes du droit ION civil, quod deerat implentese : c'est ainsi qu'il appela à la succession ab intestat les cognatz et le conjoint (onde vir et uxor). Enfin, enhardis par le succès, les préteurs appelèrent à la bonorum possessio, en concours avec les héritiers civils, ou même en première ligne, des personnes exclues par le droit romain, par exemple les enfants émancipés. A un autre point de vue, la possession de biens édictale était testamentaire ou ab intestat suivant qu'elle supposait ou non l'existence d'un testament. La possession de biens accordée en cas de testament était ou bien contrà tabulas, ou secundum tabulas. La première tendait à faire tomber un testament existant. Le préteur l'offrait' : 1° aux enfants, même émancipés, omis dans le testament par leur père ou par leur aïeul paternel ; 2° aux enfants exhérédés inter caeteros; 3° pour moitié, au patron omis par un affranchi qui laissait seulement un enfant adoptif ou une femme in manu, et bien que l'institué fit adition d'hérédité 1'; 4° à l'ascendant émancipateur cum iducia omis par son enfant émancipé 11 En général l'admission de la bonorum possessio contra tabulas détruisait tous les effets juridiques du testament, sauf trois restrictions : la substitution pupillaire qui s'y trouvait contenue subsistait 12 ; 2° certaines personnes avaient le privilége de conserver leurs legs 13. 3° La fille ou la petite-fille omise n'obtenait, depuis Antonin le Pieux, qu'un simple droit de concours avec les institués 14, jus accrescendi in certam portionem. La possession de biens secundum tabulas, c'est-à-dire tendant à procurer l'exécution d'un testament, était proposée par l'édit du préteur : 1° pour sanctionner le droit civil, conft7mzandi jouis civilis gratia, aux institués dans un testament valable d'après le droit civil11, pourvu qu'il ne fût pas dans un des cas qui donnaient lieu à la bonorum possessio contra tabulas; 2° aux institués par un testament valable d'après les principes du droit prétorien seulement Cette règle de l'édit était déjà devenue traditionnelle, et figurait parmi les préceptes tralatitia au temps de Cicéron 17. On peut citer comme cas d'application de cette règle 18 plusieurs hypothèses prévues par des textes auxquels nous nous contentons de renvoyer. La possession de biens ab intestat était accordée dans huit cas, à autant de catégories de personnes différentes ; elle prenait autant de noms techniques 19 empruntés aux phrases de l'édit par lesquelles ces personnes étaient appelées à la succession. Indiquons-les rapidement suivant leur ordre de préférence : 1° Unde liberi vocantur. Elle compétait 20 aux enfants ou descendants du défunt même sortis de la famille civile, et que le préteur considérait encore comme héritiers siens 21 2° Unde legitimi : elle était attribuée aux agnats, et aux personnes que les sénatus-consultes 22 ou les constitutions impériales postérieures leur assimilèrent. 3° Unde decem personae. Elle appartenait aux dix plus proches cognats 23 d'un descendant émancipé sans fiducie, 35 BON ce qui était fort rare [MANC1'ATIO], par préférence au tuaencaissor extraneus. ° Unde cognati : le préteur l'offrait aux parents du sang ou cognats 24 qui n'étaient pas appelés dans les catégories précédentes, ou qui avaient négligé d'invoquer leur droit à cet égard. 5° Tum quem ex familia 20. Elle était accordée à l'occasion de la succession d'un affranchi, aux agnats de son patron décédé sans enfants. 6° Unde patronus, patronave, liberique eorum et parentes. Cette possession de biens supposait la succession d'un affranchi 26, ayant pour patron un individu lui-même libertinus; au défaut de ce dernier et de ses enfants, le préteur appelait à la succession du de cujus, le patron ingénu, ses enfants et ses ascendants 27. 7° Unde vir et uxor. Le préteur accordait la possession de biens à l'époux légitime et non divorcé du défunt, pourvu, s'il s'agissait de la femme, qu'elle ne fût pas in manu mariti; ce qui lui aurait donné le rang de fille et la possession de biens Unde liberi". 8° Unde cognati manumissoris. Cette dernière possession de biens ab intestat" supposait que le défunt était un affranchi dont le patron était prédécédé sans enfants ni agnats. Le préteur appelait alors les cognats du patron jusqu'au degré de cousins issus de germains et l'enfant de l'un d'eux, relativement à l'autre 30 Outre ces huit possessions de biens ordinariae, c'est-àdire offertes à des catégories de personnes désignées à l'avance, l'édit annonçait une possession de biens dite vii ex legibus', donnée ex testatnento ou ab intestat à ceux auxquels une loi, un sénatus-consulte ou une constitution impériale ordonneraient de déférer spécialement la bonorutn possessio, C'est un dernier secours (ultirnum auxiliunl) qu'il ne faut pas confondre 39 avec la bonorum possessio Unde legitimi, relative aux agnats. Gains en donne des exemples "3 II. Possession de biens décrétale. Le préteur annonçait dans l'édit qu'il se réservait de concéder, en connaissance } de cause et suivant les circonstances, à certaines personnes, une possession de biens nommée par cette raison decretalis. On en connaît cinq exemples principaux : 1° Telle était la bonorum possessio C'arboniana'", introduite vers le milieu du vn° siècle à Rome par le préteur Carbon. L'édit Carbonien permit d'accorder, sur examen et provisoirement, la bonorum possessio Unde liberi ou contra tabulas à un enfant impubère dont la filiation était contestée. 2° Le préteur pouvait aussi concéder la bonorum possessio à un enfant conçu, lorsque son père était décédé avant sa naissance°5 (de ventre in possessionem mittendo). Nous renvoyons aux textes pour les autres hypothèses 3c La possession de biens décrétale était accordée en vertu de sa juridiction contentieuse 37, par le préteur, sur son tribunal, et seulement dans les jours de session (dies sessiortum), et on ne pouvait y renoncer qu'en laissant passer le délai pour la demander 38 De plus, au lieu de conférer BON736 BON l'in bonis, souvent elle mettait seulement in possessione; elle était d'ailleurs protégée non par l'interdit quorum bonorum, mais par un interdit spécial, Ne vis fiat ei qui in possessionem misses exit. Sous tous ces rapports, elle différait de la bonorum possessio édictale. III. Il existait plusieurs règles communes aux différentes espèces de possessions de biens. Elles devaient être demandées n au préteur, en termes solennels, dans un certain délai, qui était d'un an pour les parents en ligne directe et, pour les autres, de cent jours à partir du jour où la demande avait été possible 40. On ne comptait que les jours utiles (dies utiles)", lesquels n'étaient pas, comme on l'a vu, les mêmes pour les possessions de biens édictale et décrétale. Au cas où l'appelé laissait s'écouler le délai, ou mourait sans avoir demandé la bonorum possessio, ou bien avait répudié la possession édictale, son droit était dévolu 49 par l'edzctum successorium aux appelés du même degré, ou à leur défaut à ceux que l'ordo edicti appelait ultérieurement dans une autre classe, s'il s'agit d'agnats, et s'il s'agissait de cognats au degré suivant du même ordre. Quelquefois, il y avait dévolution d'une personne à elle-même, en ce sens qu'elle reparaissait dans un autre ordo, en une autre qualité. Sous Constance, il suffit, pour obtenir la possession de biens, de manifester sa volonté dans le délai fixé, devant un magistrat quelconque 43. IV. Au point de vue de son efficacité, la possession de biens, dans l'ancien droit, était accordée définitivement ou non, cum re ou sine re. Dans le premier cas, le possesseur avait la chose in bonis 44 et ne pouvait être évincé par l'héritier du droit civil; dans le second, l'héritier prétorien avait pu obtenir la possession matérielle des biens, soit par l'interdit quorum bonorum contre l'héritier civil §5, soit par la possessoria hereditatis petitio contre tout autre. Mais il avait seulement l'avantage du rôle de défendeur et par suite la dispense de la preuve, en cas de hereditatis petitio dirigée contre lui par l'héritier du droit civil, et l'espoir d'obtenir par un an l'usucapio lucrativa pro herede 4'; mais jusque-là il pouvait être évincé. Tel était notamment le cas où un héritier sien (heres suas) ayant négligé de demander la possession de biens unde liberi, un agnat avait obtenu la bonorum possessio unde legitimi; ce dernier était évincé par l'héritier du droit civil, vainqueur dans l'action en pétition d'hérédité L7. Il est fort probable qu'à l'origine la possession de biens n'était donnée que sine re, car le préteur ne pouvait avoir la prétention de renverser directement les règles du droit romain. Mais elle était effective, cum re, lorsque la même personne était appelée par la loi et par l'édit, et en outre, au défaut de tout héritier civil, pour combler les lacunes de l'ancienne législation. Notre principe se justifie par deux passages remarquables de Gaius 48. Mais, déjà du temps de ce jurisconsulte, un rescrit d'Antonin le Pieux admit, dans un cas particulier, le bonorum possessor prétorien à garder les biens cum re en présence même d'un héritier civil "9, au moyen d'une exception de dol. A l'époque d'Ulpien, la règle si nemo alius jure heres sit subsistait encore 50, mais avec une nouvelle restriction, au cas de prédécès d'un posthume Velléien omis par le père de famille 51. Il est aussi vraisemblable que déjà sous Adrien, les possessions contra tabulas et unde liberi étaient données cum re aux enfants émancipés, etc., omis par le testateur, ou venant ab intestat d'après le droit prétorien 54. Ajoutons encore un cas de possession contra tabulas donnée cum re; elle était accordée par le préteur au patron omis par son affranchi", et à la patronne par la loi Papia Poppaea 54; car elle n'avait dû intervenir, en la traitant comme le patron, que pour lui assurer un bénéfice définitif. V. Ainsi la succession prétorienne tendait de plus en plus à s'identifier dans ses effets avec la succession du droit civil. Justinien acheva la transformation tendant à établir l'harmonie (unam consonantiam) 55 entre les deux législations. Il supprima d'abord un certain nombre de bonorum possessiones; ainsi, en 531 50, celle dite unde decenz personne, devenue inutile depuis que toute émancipation était réputée faite contracta fiducia; puis 57 toutes celles relatives au cas où il s'agissait de la succession d'un affranchi, savoir : tune quem ou tanquam ex familia; unde patronus patronave, et unde cognati manumissoris, remplacées par les bonorum possessiones, unde legitimi et unde cognati ordinaires. Désormais, les parents du patron furent appelés à la succession de l'affranchi, de la même manière qu'à celle du patron, sauf que, dans le premier cas, les collatéraux ne durent jamais être admis au delà du cinquième degré m. Ainsi, le nombre total des bonorum possessores fut réduit de onze à sept. Mais en outre, par une remarquable innovation, le même empereur supprirha 58 toute trace des possessions de biens sine re; elles furent toujours définitives, il n'était plus nécessaire de demander la possession de biens édictale, et la dévolution (successio) avait toujours lieu d'un degré à l'autre, même dans l'ordre des agnats. Enfin, Justinien établit dans les Novelles 418 et 127 un système entièrement nôuveau de succession civile, qui absorba les anciennes règles, quelle qu'en fût l'origine. G. HUMBERT. BONORUM RAPTORUM ACTIO [FURTUM].